Décès du Dr Ngo Kana : les médecins boucs émissaires…
Face à ce décès qui défraye la chronique au Cameroun, l’enquête des responsabilités semble être exclusivement orientée vers (certains) des médecins impliqués dans la prise en charge du Dr Ngo Kana.
Medcamer est un fervent défenseur d’une qualité élevée de la pratique médicale et de l’éthique, mais s’inquiète de l’approche partielle d’une telle démarche qui considère les médecins comme les seuls coupables d’incidents qui surviennent tous les jours dans nos hôpitaux et qui affectent une multitude d’anonymes concitoyens.
Medcamer soutient les procédures administratives et disciplinaires ainsi que toute démarche d’arbitrage engagée par l’Ordre National des Médecins du Cameroun et les autorités compétentes à l’encontre des médecins dont la responsabilité est clairement engagée dans le rapport final des expertises en cours. Cependant, nous espérons que ces arbitrages se feront dans le respect de la présomption d’innocence.
Par contre cet événement devrait être l’occasion d’analyser les autres paramètres qui concourent à la survenue fréquente de telles tragédies dans l’environnement médical et hospitalier camerounais. Tous les modèles d’analyse des erreurs s’accordent sur le fait qu’il y faut un ensemble de défaillances successives pour la survenue d’un accident. Ainsi, s’il est vrai que le système de santé est organisé autour des médecins, ces derniers ne sont qu’un élément du système de santé et dont ne dépendent que très peu de décisions.
Dans l’évaluation de la présente situation, nous aimerions qu’en plus de la nécessaire évaluation des responsabilités médicales, il soit explicité :
- Pourquoi la procédure d’urgence vitale n’est pas automatique dans un hôpital de 4e référence. Le médecin pourrait ainsi se consacrer à soigner les malades. Il n’a pas à décider qui peut ou pas bénéficier de cette procédure, et n’a pas à percevoir d’argent, comme l’a rappelé le président de l’ONMC ?
- Comment un contrat d’assurance peut être dénoncé sans que les assurés soient avisés et que leurs soient proposées des solutions. Comment un contrat valable quelques jours auparavant peut être renié même devant une situation d’urgence vitale ?
- Comment un hôpital qui se veut être de 4e référence (HGOPED) peut obtenir une autorisation d’ouverture alors que le plateau technique minimal n’est pas disponible (déchoquage, soins intensifs, ambulances…) mettant clairement en danger la vie des patients qui s’y aventureraient ?
- A quand remonte la dernière évaluation par le ministère et/ou l’ONMC de la clinique qui est aujourd’hui dans le viseur ? Il est pourtant de la responsabilité de l’état de veiller au maintien à niveau des structures de santé publique et privées.
- Quels sont les moyens de communication mis à disposition des médecins et des structures hospitalières pour communiquer entre eux (téléphone, fax, email…) et assurer le transfert des patients dans les conditions de sécurité requise (ambulance équipées, personnel dédié…) ?
La réponse à ces diverses interrogations mettra en lumière l’ensemble des défaillances dont certaines autrement plus significatives dans les évolutions tragiques des patients qui se soumettent aux bons soins des médecins au Cameroun:
- Administrateurs des structures hospitalières (qu’ils soient médecins ou non),
- Effectivité des instances de surveillances ministérielle et des ordres professionnels,
- Formation initiale et continue des personnels de santé,
- etc
Le médecin n’est qu’un pion dans ce complexe échiquier et sa seule responsabilité n’expliquerait pas les profondes défaillances de notre système de santé et les nombreux drames qui en découlent. Le décès de notre regrettée consœur n’est en fait qu’un minuscule sommet de l’immense chaîne d’icebergs. L’occasion est ici offerte de poser ouvertement un véritable diagnostic systémique inclusif et d’en discuter les points d’une profonde réforme.
MEDCAMER, le 01.03.2016