Choix de la Spécialisation
Je partage avec vous cette réflexion sur le choix de la spécialisation en médecine.
Je suis pneumologue et infectiologue principalement, somnologue accessoirement (discipline même pas encore en gestation au Cameroun), mais je ne parlerai pas de ces disciplines que j’aime toutes. Non, je proposerai plutôt des pistes pour le choix de la spécialisation, en fait pour le choix d’une formation et/ou d’un métier en général.
Je vous propose pour cela une réflexion sur le modèle ROM pour Rêve- Opportunité- Motivation.
1- Le rêve:
Il relève du subjectif, c’est la passion, le désir profond, l’envie irrépréhensible, on ne sait pas trop d’où il vient. On dit parfois « j’ai toujours voulu être….depuis l’enfance ». Est ce la résultante de désirs ou souhaits, pensées, prières des ascendants? Ou alors le fruit de ses propres impressions, observations, réflexions stockées quelque part au fond du cerveau de façon inconsciente? Dimension métaphysique, spirituelle, peut être, ou bien existence d’un substratum neuro biologique? (les chercheurs en neuro-sciences nous éclaireront peut être ici). Toujours est il que cette composante peut peser lourdement et constituer un puissant moteur pour le choix et l’exercice d’une profession. Mais la réussite et l’épanouissement dépendront alors de la capacité du sujet à réaliser, assumer et s’adapter aux réalités du métier de ses rêves, réalités que malheureusement le rêve lui-même a le don de ne présenter que rarement.
Le rêve est la composante IDÉALISTE ou SUBJECTIVE du processus de choix.
2- L’opportunité.
Sur une échelle de valeurs, la composante opportunité pourrait être classée tout en bas, à cause du l’impression que le sujet qui la choisit se laisserait entraîner par les événements, serait passif et attendrait juste la belle occasion et le bon moment pour sauter dessus. Le contexte actuel dans notre pays, avec la paupérisation galopante, les difficultés d’emploi partout d’ailleurs, tendent à favoriser cette composante du choix de métier, ce qui est tout à fait compréhensible et aucunement blâmable. D’ailleurs, le choix basé sur l’opportunité peut être très efficace, à condition que le sujet soit doté deux deux choses essentielles et complémentaires:
- la volonté réelle de servir (sa communauté, son pays, l’humanité),
- la prise de conscience de ses capacités d’adaptation.
Car autant toutes nos cellules spécialisées de notre organisme proviennent toutes de la cellule souche totipotente (je vois encore le Pr Koueke nous l’enseigner à la FMSB *, il y a bientôt 20 ans 🙂 🙂 ), autant chacun de nous a en lui le potentiel pour exercer n’importe quelle profession, il suffit de s’entourer de l’environnement spécifique nécessaire, de se donner les armes physiques, intellectuelles, mentales, sentimentales, spirituelles, etc.selon les cas. Et dans notre domaine, pour peu qu’on ait déjà le rêve (déjà abordé) et/ou la motivation (point suivant) pour la médecine, la spécialité à mon sens importe peu et l’opportunité revêt alors une importance capitale. Car tous les domaines de la médecine ont en commun l’objectif d’amélioration de la santé d’un patient donné (médecine clinique) et/ou de populations entières (santé publique et assimilés). Chaque discipline n’étant alors plus qu’un membre, un petit organe de ce magnifique corps, qui chacun participe à sa façon mais de façon indispensable à ce louable objectif. Je suis convaincu (ce n’est pas scientifique mais instinctif et empirique) qu’un petit sondage dans ce forum de médecins montrera que la majorité des spécialistes se sont retrouvés là par opportunité, puis ils ont « adoré », (on essaye?). Donc vous voyez, l’opportunité, voire l’opportunisme, ce n’est pas forcement péjoratif.
L’opportunité est la composante PRAGMATIQUE du processus de choix.
3- La motivation.
La motivation est l’ensemble de forces qui provoquent le déclenchement et la poursuite d’un comportement. C’est elle qu’on aurait tendance à placer en haut de l’échelle des valeurs, dans le processus de choix de métier. Mais encore faut-il considérer le type de motivation! Car c’est un vaste domaine, couvrant un spectre assez étendu et varié.
Pour essayer de faire simple, on va dire qu’elle a deux composantes:
- les motifs d’engagements : ce qui pousse le sujet à choisir tel ou tel métier/formation, c’est de cela qu’il est question ici pour beaucoup à propos du choix de la spécialité médicale;
- la dynamique motivationnelle: ce qui pousse le sujet à continuer d’être motivé lorsqu’il est déjà en formation ou sur le terrain, c’est de cela qu’il est question pour tous les étudiants, résidents, et médecins déjà sur le terrain, que nous sommes tous.
Les motifs d’engagements sont décrits sous plusieurs modèles, le plus complet et opérationnel étant le modèle de l’autodétermination, qui se présente comme un continuum avec au bas de l’échelle l’amotivation (absence totale de motivation) et au sommet la motivation intrinsèque« supérieure », en passant par:
- la motivation extrinsèque par régulation externe: recherche de statut social, espoir de récompenses (dont salaire et autres avantages), évitement de sanctions, etc.
- la motivation extrinsèque par régulation introjectée : culpabilité de ne pas pouvoir accomplir certains actes, ou au contraire fierté d’exercer certaines professions ou d’être capable de réaliser certains actes salvateurs, clin d’œil aux chirurgiens, réanimateurs ou autres « Vice-Dieu » de la médecine
- la motivation extrinsèque par régulation identifiée: on fait ce qui est important pour soi, pour ses aspirations, peu importe que ce soit intéressant, gratifiant ou pas.
Quant à la motivation intrinsèque, qui est la forme « supérieure » de la motivation, ses composantes sont
- le besoin de développement autonome : Il pousse l’individu à se construire des buts nouveaux afin de tendre vers le progrès et d’aller au-delà de ce qu’il est déjà parvenu à réaliser
- le besoin d’accomplissement : forces orientant les comportements de l’individu vers des activités le menant au succès et lui permettant d’éviter les échecs.
- les conceptions de soi et de son environnement: force construite autour de représentations cognitives (basées sur l’histoire, les antécédents) dans lesquelles l’individu va se projeter. C’est l’exemple d’individus qui s’engagent dans une filière médicale ou sociale, car ils n’envisagent leur satisfaction professionnelle qu’à travers la dimension humaniste et philanthrope associée à leur futur métier.
- le rapport au savoir : selon Charlot, cette notion nouvelle dans le champ des sciences humaines a pour intérêt de révéler une dimension novatrice du savoir « comme sens et plaisir ». Il s’agit du plaisir d’apprendre, du plaisir de savoir ou encore de la satisfaction à surmonter des difficultés.
Je ne vais pas développer la dynamique motivationnelle ici, mais je me ferai un plaisir d’envoyer l’article sur la motivation** par mail à qui le désire (vous vous doutez bien que tout ce laïus motivationnel n’est pas de moi! 🙂 ).
Pour finir sur ce 3ème point, la motivation serait la composante INTELLECTUELLE ou OBJECTIVE du processus de choix de métier.
Vu sous cet angle, toutes les présentations de chaque métier (avantages et inconvénients) peuvent tout au plus stimuler un peu la motivation extrinsèque, très peu l’intrinsèque, et n’auront aucun effet sur la passion (qui est enfouie dans chacun de nous) et l’opportunité (qui se présentera quand elle voudra ou sera créée, mais qu’il faudra saisir le moment venu).
Voilà. Fin de l’homélie. Merci à ceux qui sont allés jusqu’au bout.
MASSONGO MASSONGO
massongo.massongo@medcamer.org
08 mai 2016
*Faculté de Medecine et de sciences Biomedicales
** Pelaccia T. et al. Pédagogie Médicale 2008;9:103-21.